Critique : Man of Steel de Zack Snyder
Quand Snyder et Nolan recréent Superman, cela donne un blockbuster offrant une genèse passionnante qui contraste de manière imparfaite avec le spectaculaire.
Véritable figure de la pop-culture et modèle ultime de l'humain parfait, Superman s'est vu avoir au fil des années des adaptations cinématographiques de plus en plus mauvaises, dont le kitsch et l'humour devenaient obsolètes. La Warner (détentrice des droits) a donc essayé en 2006 de rectifier le tir avec le trop injustement détesté Superman Returns de Bryan Singer (qui reste tout de même un film assez décevant malgré ses bonnes idées). Voyant son rival Marvel enchaîner les succès avec ses super-héros plus décomplexés, DC Comics et le studio ont décidé de laisser Superman au placard quelques années. Mais voilà, entre temps, il y eut la renaissance : les Dark Knight de Christopher Nolan ! Par sa réécriture intelligente, moderne et pertinente de la création d'un symbole et de sa place au sein d'un monde qu'il cherche à protéger, il n'est pas étonnant de retrouver le réalisateur d'Inception au scénario et à la production, épaulé par David S. Goyer (co-scénariste sur les Batman). Et en confiant la réalisation à Zack Snyder, cinéaste à l'imagerie grandiose, déjà responsable d'une immense adaptation d'un univers de DC Comics (Watchmen), ce reboot (on recommence tout depuis le début) de l'homme d'acier ne pouvait qu'être gargantuesque.
Il faut avouer que dès ses premières minutes, Man of Steel donne le ton. La planète Krypton est en pleine guerre (due au coup d'état du général Zod), alors qu'elle s'apprête à exploser. Ses fameux habitants ne sont alors plus présentés comme des êtres supérieurs (sauf sur le plan technologique), enlevant dès lors à ces nouvelles aventures de Superman une métaphore christique qui aurait été déplacée dans un film prônant le réalisme. Tout le monde connaît la suite : Jor-El (Russell Crowe, brillant remplaçant de Marlon Brando) et sa femme envoient leur fils nouveau-né Kal-El sur Terre, en tant qu'ultime rescapé de leur espèce. Élevé par Martha et Jonathan Kent (émouvants Diane Lane et Kevin Costner), ce dernier va en grandissant découvrir ses pouvoirs et chercher sa véritable identité. Tout comme pour Batman, les scénaristes ont avant tout questionner sur la place de Superman dans la société, en tant qu'extraterrestre mais aussi en tant que super-héros. Si tout le monde connaît l'homme d'acier, Goyer et Nolan ont donc évité de nous rabâcher ses origines comme auparavant, préférant une construction efficace sous forme de flash-backs (si chère à Nolan). Les différentes scènes présentent des situations finalement assez quotidiennes mais accentuant la psychologie de son héros tout en montrant son tiraillement dû à l'éducation paradoxale inculquée par ses pères biologique et adoptif. Henry Cavill, tout en finesse, se révèle alors bien vite comme le meilleur interprète de Superman.
Avec son relooking bienvenu (le bleu du costume est plus sombre, et on peut enfin dire adieu au slip par dessus le collant !), Man of Steel dévoile dès lors son envie de réalisme et son actualisation passionnante du mythe. Grâce aux pouvoirs démesurés de Kal-El, on pouvait donc s'attendre à des scènes d'action particulièrement destructrices de la part de Snyder. Conscient qu'il a entre les mains un blockbuster estival aux moyens colossaux, mais voulant également contrebalancer avec la lenteur de Superman Returns, le réalisateur reprend les rênes dans la deuxième partie du film pour livrer un grand spectacle. Face à l'impressionnant général Zod (génial Michael Shannon), l'homme d'acier enchaîne les combats sur terre et dans les airs. Jamais Superman n'aura été filmé de manière si énergique. En cherchant presque à se rapprocher du documentaire, Zack Snyder suit son héros de la manière la plus naturelle possible : caméra à l'épaule et dans le dos de Kal-El, plans d'ensemble zoomés de manière abrupte, etc. Réalisé comme une véritable montagne russe, Man of Steel joue avec nos sens. La gravité, la vitesse, les décors variés et même l'espace sont magnifiés par la caméra de Snyder, qui maîtrise parfaitement ses effets numériques agrémentés de la musique magistral et aérienne de Hans Zimmer. La 3D prend également tout son sens devant ce film qui réalise enfin le fantasme de nombreuses personnes : nous faire ressentir les sensations de Superman.
Néanmoins, Man of Steel n'est pas exempt de défauts. A trop vouloir en mettre plein les mirettes aux spectateurs, Snyder délaisse dans la dernière heure de son film (à deux ou trois passages près) la métaphysique nolanienne qui fonctionnait pourtant si bien, transformant Superman en bulldozer de la mort (certes protecteur, mais un bulldozer quand même). En invoquant une menace aussi dangereuse que celle du général Zod, le long-métrage flirte avec le film catastrophe (en renvoyant au passage Roland Emmerich et Michael Bay au niveau école maternelle), alternant les actions épiques de notre héros avec des vues sur la population en panique. Les personnages secondaires n'ont cependant plus l'occasion de se dessiner (Perry White, incarné par Laurence Fishburne en est le meilleur exemple) et même la romance entre Kal-El et Loïs Lane (Amy Adams, impeccable) perd en intérêt (bien qu'il s'agisse de la plus logique écrite à ce jour). Alors qu'il traitait avec une sensibilité humaine la genèse de son homme volant, Snyder y préfère par la suite la puissance kryptonienne.
Au final, les défauts de Man of Steel reflètent l'équilibre que cherche Superman, et l'aspect binaire de l'ensemble. Kryptonien et humain, intimisme et spectaculaire, Snyder et Nolan... Les deux parties bien visibles (et mal équilibrées) du film ne confortent en réalité que la découverte de l'identité de Kal-El. En actualisant le héros et en le rendant plus sombre, le cinéaste le fait hésiter quant à ses capacités, sur son pouvoir à sauver le monde...et en vue des dommages collatéraux que subit Métropolis, on peut fortement en douter. A l'instar de nombreux blockbusters hollywoodiens, Man of Steel dépeint une société en proie au soupçon et à la paranoïa. Si les multiples buildings détruits métaphorisent encore une fois le 11 septembre 2001, le réalisateur ambitieux universalise la menace (la scène où Zod pirate les écrans du monde entier en est le meilleur exemple). Peut-être qu'en y insufflant trop son souffle, Christopher Nolan a quelque peu bridé Zack Snyder, empêchant son film d'être le chef-d'œuvre annoncé par les studios. Cependant, Man of Steel s'annonce comme l'un des grands blockbusters de l'année, à la fois spectaculaire et intelligent. On peut d'ailleurs le résumer en réemployant une réplique de The Dark Knight : Ce n'est pas le Superman dont nous avons besoin, mais celui que nous méritons.
2013
États-Unis (2h23)
Avec Henry Cavill, Amy Adams, Michael Shannon, Diane Lane, Russell Crowe, Kevin Costner...
Scénario : David S. Goyer. Sur une idée David S. Goyer et de Christopher Nolan. D'après l'œuvre de Joe Shuster, Jerry Siegel.
Distributeur : Warner Bros. France
Note : 16/20