Critique : Cloud Atlas de Lana Wachowski, Tom Tykwer et Andy Wachowski
Un chef-d'œuvre incroyable qui mélange avec une limpidité déconcertante plusieurs espaces temps et pose une vraie réflexion sur l'être humain. Chapeau les
artistes !
Réalisateurs atypiques et férus de défis, les frères Wachowski tentent de continuer sur la lancée de Matrix en livrant des blockbusters à la portée
métaphysique. Si la trilogie de Néo est désormais culte, leur bébé Speed Racer (2008) a lui été un échec public. Un échec finalement positif car il permet à ses auteurs de se moquer du box-office et des limites. Ils vont jusqu'au bout de leur pensée, quitte à rebuter les spectateurs. En décidant de s'attaquer au roman
réputé inadaptable de David Mitchell Cartographie des nuages, les frères Wachowski prenaient de très gros risques. A travers six histoires dans six espaces temps différents, dans
lesquels des vies se retrouvent liées, se croisent et se séparent (incarnés par les mêmes acteurs), ils avaient six chances de se planter.
Premièrement, Andy et Lana ont eu la bonne idée de ne pas se frotter à ce gros projet touts seuls. Tom Tykwer (Cours Lola, cours) voulant participer à l'adaptation, ils ont pu se répartir les différents films en un. Du XIXème siècle aux seventies, en passant par 2144 ou
un futur encore plus lointain, les réalisateurs livrent un travail qui n'aurait pas été possible sans une bonne entente. Leur longueur d'onde est la même et cela se ressent dans le résultat
final, qui est d'une limpidité et d'une efficacité redoutable. En switchant d'une époque à une autre toutes les cinq minutes, reliant le tout par des raccords magnifiques et des cliffhangers
réussis, il est impossible au spectateur de s'ennuyer une seule seconde. De plus, la mise en scène se révèle d'un lyrisme d'une beauté rare. Les décors sont comme toujours chez les Wachowski,
inspirés (Néo-Séoul notamment). Sachant aussi bien les sublimer que les laisser en retrait au profit des personnages, notre planète bleue devient un terrain de jeu immense et varié, aux multiples
ambiances et couleurs. Alors que l'Homme, en la modifiant, la noircie de plus en plus, elle finit par reprendre ses droits, prouvant sa toute-puissance sur cet être qui n'en est qu'un
élément.
Cloud Atlas est donc avant toute chose un film sur l'humain. Sans le considérer comme une créature supérieure mais sans le mépriser non plus, Tykwer et les
Wachowski donnent (malgré leur subjectivité) un constat. Si de nombreuses erreurs humaines reviennent au long du film (l'esclavage notamment, réintroduit en 2144), il n'est pas non plus sans
espoir. C'est là que les liaisons entre les espaces temps prennent du sens. Tom Hanks, par exemple, incarne six personnages : un infâme salaud obnubilé par l'argent, un propriétaire
d'appartements qui garde les défauts de son ancêtre, l'émouvant et innocent Isaac, le romancier quelque peu imprévisible Dermot Hoggins, un acteur prônant la liberté et Zachary, homme revenu à un
état primaire mais qui demeure plus intelligent que ses congénères. A travers un petit saphir passant de main en main, le film reflète une véritable évolution au fil des générations, qu'elle soit
bonne ou mauvaise. Cette idée n'est malheureusement pas poussée jusqu'au bout (Hugo Weaving n'a que des rôles de méchants par exemple). Mais au milieu de toutes ces époques, de tous ces
personnages et de tous ces sentiments qui se mélangent dans un incroyable tourbillon, il n'y a qu'une seule chose qui demeure : l'amour (chose finalement simpliste mais que l'on a tendance à
oublier !).
Cloud Atlas en profite également pour être une magnifique ode à l'avancée et à l'émancipation. Que ce soit contre les religions, l'esclavage ou la
tyrannie, les personnages ont besoin de se battre même si leur cause semble perdue d'avance. Sonmi (Doona Bae), un clone travaillant dans un restaurant de Néo-Séoul qu'elle ne peut quitter,
devient l'objet d'une révolution. Instruite par Hae-Joo Chang (Jim Sturgess), dont elle tombe amoureuse, elle finit par se faire capturer avec son mouvement, et interrogé par un membre de la
corporation Unanimity (invisible mais puissante). Elle justifie son acte en expliquant que, par son sacrifice, la « vérité-vraie » (comme ils aiment le dire) ne peut pas être occultée.
Et si une seule personne y croit, cela est suffisant. Les réalisateurs illustrent d'autant plus ce combat par ceux du passé. S'il nous paraît aujourd'hui logique de ne pas avoir d'esclaves, ce
n'était pas le cas au XIXème siècle. Après avoir été sauvé par un affranchi, Adam Ewing (Jim Sturgess encore) décide de lutter contre ce fléau de la société. Certaines personnes affirment que le
monde n'est pas prêt à certains changements. Cloud Atlas prouve qu'il ne faut pas hésiter, au contraire, à le bousculer (rappelant parfois le récent Lincoln de
Spielberg).
Mais le film vaut aussi énormément pour sa direction d'acteurs, qui souligne son propos. Certes, il est amusant de remarquer les maquillages des stars (aussi bien
ratés que bluffants) qui n'hésitent pas à changer de couleur de peau ou de sexe (la métamorphose de Larry Wachowski en Lana doit y être pour quelque chose). On suit ainsi l'évolution d'une âme au
fil des âges. S l'individu est mortel, les idées, elles, ne le sont pas. Nos actes, même les plus insignifiants, ont une importance. De Halle Berry à Ben Whishaw en passant par Jim Broadbent ou
encore Hugh Grant (que je n'aurais jamais pensé voir un jour en chef cannibale !), leur variété d'interprétation est à la hauteur de leur talent, rappelant les multiples rôles de Denis Lavant
dans Holy Motors.
Car à l'image de l'ovni de Leos Carax, Cloud Atlas est un hommage au cinéma. Ayant compris comment employer sa force dans un récit complexe sur l'Homme,
les Wachowski et Tykwer composent un film à sketchs qui connaît le meilleur, mais pas le pire. Les genres se mélangent, de la comédie british au thriller, donnant un tout bourré de références (on
peut d'ailleurs regretter que celles de la partie SF soient trop visibles), comme si les cinéastes avaient réussi à créer le film ultime. En regroupant les autres arts, notamment la musique (le
fameux sextette de Robert Frobisher est absolument sublime), seule trace de notre passage sur Terre, les réalisateurs nous préparent à notre départ, et de la plus belle des manières. Après tout,
Zachary, une fois vieux et sur une autre planète, raconte l'histoire de l'Humanité à des enfants. Nous ne sommes rien de plus finalement, que de belles histoires qui traversent le temps. De
belles histoires qui peuvent faire des films !
2013
États-Unis (2h45)
Avec Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Jim Sturges, Doona Bae, Ben Whishaw...
Scénario : Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski. D'après l'œuvre de David Mitchell.
Distributeur : Warner Bros. France
Note : 18/20